Ferry

Sur le ferry, le long du Inside Passage (côte ouest du Canada) puis sur la traversée pour Haida Gwaii, j’ai un peu noirci mon carnet. Je me permet, à titre de tentative, d’en livrer quelques morceaux.

Le cinéma

Le ferry, c’est un cinéma. Il faut s’installer confortablement, choisir sa bande son (pour moi ce sera Leonard Cohen, Jean Ferrat, Graeme Allwright et Bob Dylan), et regarder dehors.

Le premier tableau est fixe. Le ferry ne bouge pas encore, mais c’est l’extérieur qui s’agite. Le port ressemble à une fourmilière. Nous, les piétons, avons embarqué en premier. C’est maintenant le bal des voitures et des camions. Ça s’agite, ça s’impatiente mais ça reste organisé. Les dernier véhicules sont embarqués et la rampe est remontée. Puis lentement il faut quitter cette agitation. Il y a de moins en moins de bateaux dans le champ de la caméra. Les balises et le phare marquant le chenal font une courte performance. Éventuellement il y a des baleines, des phoques ou des oiseaux. Dans la version deluxe, on apercevra une loutre. Pendant un court instant le paysage devient plat, il n’y a que de l’eau à l’horizon. Le soleil profite que le plateau soit libre pour faire ses adieux et après quelques hésitations la lune prend sa place. Avant l’entracte il faut aller faire un tour sur le pont afin de regarder les étoiles. Le calme qui règne à bord est propice à quelques heures de sommeil et c’est à même le sol que le voyageur s’endort. Au réveil, le soleil fait une entrée parfaite. Cela fait des milliards d’années qu’il s’entraîne. Le ferry continue, inlassablement, à se frayer un chemin entre les îles et les fjords. Alors défile le paysage immobile: forêt, chute d’eau, falaise, et des arbres morts, attendant de voir quelle destination l’océan leurs réserve. Certains vous diront que le paysage est toujours le même, qu’il se répète. Ces gens n’ont pas le sens du détail. Telle ou telle chute d’eau ne sont pas pareils. La première est douce, un mince filet d’eau qui tombe en douceur le long de la falaise. L’autre est violente. C’est de grosses masses d’eau qui frappent les roches pour s’abattre avec grand bruit dans l’océan. En tout cas moi, je ne peux décoller de mon siège. C’est un de ces films tellement bon qu’on en craint une arrivée trop précipitée de la fin.

North American Lifestyle

“Looking at the nature through a window while eating fast food.”

(réflexion commune avec Carolin et Hana à la salle à manger du ferry)

Temps bonus

Sylvain Tesson, je n’ai presque pas lâché la Géographie de l’instant depuis le début de mon voyage, écrit que le temps est injuste car il avance même lorsque l’on se repose. Je suis encore plus révolté par l’idée de continuer à vieillir alors que je voyage. Le temps passé à découvrir le monde devrait être du pur bonus. Je suis passif, je suis consommateur de la beauté du monde. A part ma curiosité et mes souliers, je n’use rien. Me facturer une activité aussi durable que l’admiration est scandaleux. Le temps est un enfoiré de capitaliste!

STOP

Le ferry va trop vite. Capitaine, pitié, ralenti! Laisse moi encore un peu de répits. Je viens de réaliser que ce voyage a une fin.

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