Trois jours sur la Sosva

Vous vous demandez ce que je fais au fin fond de l’Oural? Moi j’ai arrêté de me poser la question. J’ai accepté le fait qu’un enchevêtrement d’idées, d’opportunités, et l’aide d’amis hors du commun m’ont ammenés à déposer mon sac dans un petit village aux pieds de l’Oural. Entre deux convocations chez le FSB, qui eux aussi peinent à comprendre les raisons de mon séjour ici, j’ai eu l’occasion de pagayer trois jours sur la rivière Sosva.

La forêt ici est pleine d’eau, il pleut tellement depuis le début de l’été. L’autre jour nous avons carrément noyé un quad en empruntant une route qui normalement est parfaitement sèche à cette saison. Du coup c’est Alek et son énorme camion qui nous amènent au point de départ. La piste ne va pas jusqu’à la rivière, et même si Alek aimerait bien tenter le coup à travers bois, nous optons pour un portage assez raide à travers une forêt dense et infestée de moustiques. Bientôt la pluie s’en mêle et le tout devient un grand talus de boue. Nous découvrons au bout du portage une rivière énorme, brune de sédiments et qui sort de son lit un peu partout. Alors que la situation vire au désastre avec tout le matériel trempé, des gros doutes sur la navigation, une quantité de moustiques infernale et la nuit qui arrive rapidemment, être une bonne équipe aide beaucoup. Nous enchaînons les blagues et tout va instantanément mieux.

Nous sommes cinq personnes plus un chien, répartis en deux embarcations: un raft gonflable et un kayak démontable. Notre bivouac compte deux tentes pour dormir plus un dôme en moustiquaire (qui peut être recouvert d’une bache en cas de pluie).

La mise à l’eau se fait en pleine prairie, à plusieurs mètres du lit habituel de la rivière, et nous naviguons entre les saules pour accèder au courant principal. La première partie est assez montagneuse, avec de grandes falaises et des rives très raides. Nous voyons ainsi quelques grottes et arches. L’environnement est très sauvage, et les berges sont magnifiques de diversité. Les prairies en particulier sont incroyables: une végétation qui arrive à l’épaule, plein d’insectes et des odeurs très fortes. Deux passages un peu moins profond requièrent un minimum de concentration, tandis que le reste de la navigation consiste à se maintenir dans le courant avec le minimum d’effort. Nous devons néanmoins faire attention aux arbres morts et îles submergées.

Au moment de quitter la partie montagneuse du tracé, nous nous arrêtons visiter les ruines d’un camp pour jeunes (je me refuse à nommer “scouts” une organisation liée à un régime politique), vestiges d’une époque où la vie en communauté  était un élément central de ce pays. Nous croisons également la version locale des Copains d’Abords, un radeau dont la capacité à chanter de l’équipage ne laisse aucun doute sur sa consommation de vodka. Le soir nous campons dans une grande prairie aux couleurs incroyables. C’est aussi malheureusement l’occasion de retrouver les moustiques, puisqu’il n’y en a pas sur l’eau.

Le deuxième jour nous passons plusieurs villages. Nous nous y arrêtons dans l’idée d’acheter du pain. Mais aujourd’hui la voiture sensée livrer le pain n’est pas venue, nous repartons avec des glaces. Les villages sont constitués d’isbas traditionnelles, toutes un peu de travers, de bois foncés et avec les pourtours de fenêtres peints de bleu clair. Autour des villages la surface est complètement deforestée et sert de pâture. Ces pâturages étant en grande partie inondé, le GPS nous sera utile pour éviter de nous perdre et quitter la rivière.

Nous nous laissons glisser dans le courant, bien assez rapide pour nous. Mes deux coéquipiers passent le temps en chantant. Après que j’aie massacré deux ou trois classiques de la chanson francophone, et que le chien se soit jeté à l’eau à chaque fois, j’abandonne l’idée de les imiter. Puis, dans un bruit incroyable, le train qui m’a amené jusqu’ici nous dépasse. J’aime le réseau ferroviaire russe, capable de vous amener n’importe où ou presque, à un prix imbattable et un confort acceptable. La recherche d’un endroit de bivouac manque de peu de se terminer de nuit. Avec le niveau d’eau toujours très haut, les endroits habituels sont soit sous l’eau soit impossible à accoster. Nous finissons au coucher du soleil dans une grande prairie, à l’accostage très scabreux.

Au matin du dernier jour, il fait extrêmement chaud. Tout le monde a envie d’être sur l’eau au plus vite, pour pouvoir quitter la chaude tenue antimoustique. Nous portons en effet manches longues, capuchons avec moustiquaire de visage, pantalons longs, grosses chaussettes et gants pour limiter le nombre de piqûres. Mais c’est sans compter sur la colle du raft gonflable, qui a elle aussi très chaud. Une partie se décolle et c’est l’heure d’improviser une réparation. La deuxième idée tient, mais il faudra quand même pomper quelque fois en cours de navigation. Nous nous offrons un arrêt baignade bien mérité, dans une eau un peu fraîche. Mais c’est un vrai bonheur de se ballader torse nu sans moustique, grâce au vent et à l’absence de végétation sur la plage.

Au final nous avons couvert 107 km en trois jours. Le gros débit nous a bien aidé, car nous n’avons que peu pagayé. La plus grosse difficulté pour moi restera les moustiques. La diversité du paysage, et le caractère sauvage de cette rivière qui n’a jamais subit les idées absurdes de la modernité font de cet itinéraire une expérience unique.

Je présente ici quelques photos de cette sortie. D’autres photos de mon séjour dans l’Oural sont disponibles sur mon album Flickr.

 

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