Article publié dans Pro Vélo Info numéro 55/2021 que je reproduis ici avec leur aimable autorisation. La version publiée est disponible ici: https://www.pro-velo.ch/fr/projets/publications/pro-velo-info/
Je n’ai jamais aimé le vélo, et qu’on ne me réveille pas un dimanche matin pour faire un col ! J’ai appris à aimer le vélo comme moyen de transport efficace et abordable. J’aime me déplacer sans devoir suivre un horaire. J’aime arriver frais au bureau après une belle descente dans le trafic. J’aime ne pas respirer l’haleine de mon voisin de tram. J’aime penser que mon budget transport annuel est inférieur à celui mensuel d’un automobiliste.
J’ai commencé à me déplacer à vélo au niveau débutant : j’habitais Copenhague. Puis j’ai déménagé à Vienne, où j’ai découvert la catégorie supérieure : les rails de trams, la pente, et le parcage latéral des voitures, avec les risques liés aux ouvertures des portières.
Je vis maintenant à Bergen, ville d’Europe qui cumule le plus de précipitations annuelles (2412 mm/an sur la période 1981-2010). Il n’y a pas de mauvaise météo, juste des gens mal équipés. Je roule en été avec des pneus toute saison, et en hiver quand la pluie devient givrante je change pour des pneus cloutés. J’ai rapidement abandonné l’utopie des habits étanches qui se transforment en sauna au moindre effort. Ma tactique est « vite mouillé, vite changé » : des habits chauds même mouillés et du rechange dans la sacoche étanche.
Par 60 degrés nord, Bergen c’est aussi des hivers sombres. En décembre, sur la période 1981-2010, la moyenne mensuelle d’ensoleillement s’élève à 12 h. Du gilet aux bandes réfléchissantes sur les pneus, en passant par les gants roses, je clignote, reflète et éclaire. Plus j’ai de trucs brillants sur mon vélo, plus je suis content !

Et puis c’est une ville construite entre montagnes et fjords. Mon bureau est au niveau de la mer et je vis à 140 m d’altitude, pour une distance de 4 km. Je trouve le vélo au plat ennuyeux car il faut tout le temps pédaler. Là je ne pédale que la moitié du trajet, l’autre je freine (parfois). Les transports publics et leurs effluves m’endorment. Le vélo dans la pluie froide, en équilibre entre un bus et un SUV, ça réveille ! J’arrive au bureau les sens en alerte, une montée d’adrénaline en prime suivant l’attention des automobilistes. A la montée, je transpire mes problèmes de la journée. Je rentre chez moi à fond, tactique qui permet d’arriver rapidement et de libérer l’esprit.
Mais dans cette pluie et cette nuit on aimerait parfois bien avoir son propre espace. Pouvoir pédaler sans devoir regarder à 360 degrés quel automobiliste a le nez dans son téléphone ou son GPS. Ne plus devoir jouer à l’équilibriste sur une plaque d’égout entre des véhicules trop gros, aux chauffeurs inattentifs. Bergen est comme beaucoup de villes suisses : quelques pistes cyclables ont été construites pour « encourager la mobilité douce » mais il n’y a aucune réflexion de fond sur la mobilité urbaine. La voiture reste la grande gagnante, toujours plus large, toujours plus lourde. Et même si les automobilistes sont pour la plupart civilisés, ma moyenne d’une frayeur par jour est tenue, que ce soit à Bergen, Lausanne ou Vienne (Copenhague est une autre histoire). Ce qui remonte le score ? Mon campus met à disposition un parking à vélo chauffé, avec atelier, station de lavage, vestiaire et local à sécher. Je peux arriver trempé jusqu’au caleçon et me pointer tout propre au bureau. Malgré des conditions peu engageantes, nous sommes une majorité de mon équipe à venir à vélo.


Y a-t-il des villes plus adaptées au vélo que d’autres ? Non, vraiment je ne le pense pas. C’est pour moi d’abord un problème d’infrastructures avant un problème de topographie ou de climat. Pédaler à Bergen, c’est réfuter d’un coup les arguments qu’une ville puisse être trop pentue ou que la météo hivernale soit inadaptée au vélo. Grâce à un campus bien équipé, la pluie froide de Bergen n’est qu’un faux problème. Il ne manquerait que des pistes cyclables séparées du trafic : j’ai arrêté de croire à la cohabitation avec les voitures le soir où j’ai atterri sur le toit d’un taxi viennois. Le vélo est possible partout et par tous les temps, est écologique, silencieux, fluide, efficace contre plusieurs problèmes de santé publique et ne demande que peu d’espace. Et ce, même dans une ville pentue, sombre, pluvieuse et froide. Ça demande juste un peu de volonté politique.